C’était le grand jour ! Francky Craboui quittait enfin la minuscule échoppe dans laquelle il avait installé son agence de détective huit ans auparavant. Huit ans de filatures peu passionnantes, d’enquêtes de quartier sans grand intérêt si ce n’est celui de lui permettre de gagner sa vie jusqu’à présent. - « Ah ! Que de souvenirs ! » dit-il à voix haute alors qu’il était tout seul devant la porte de son échoppe. «Tous mes débuts dans le métier… » soupira-t-il avec un brin de nostalgie. Francky était en train de dévisser la plaque noire, située à droite de la porte d’entrée, sur laquelle l’inscription Craboui & Craboui Associés était gravée en lettres blanches. Elle n’avait pas trop vieilli. Il allait mettre une plaque neuve devant sa nouvelle agence mais il n’avait pas le droit de laisser l’ancienne là .

Le titre était un peu ronflant : Craboui & Craboui Associés, c’était tout simplement Francky Craboui et sa femme Poulette. Cette dernière n’était pas peu fière de cette formule car elle laissait planer un certain mystère sur l’activité de leur entreprise. Seule la consultation des pages jaunes de l ‘annuaire permettait de savoir que les Craboui étaient détectives. Justement cette fine équipe allait désormais établir son agence à Macau dans le Médoc et plus précisément au Château Cactus. Encore une trouvaille de Poulette, ce nom-là ! A l’origine Château Cactus était une véritable propriété viticole dans le Médoc. Malheureusement, un parasite avait ravagé la vigne de façon irréversible et ses exploitants avaient été obligés d’arracher jusqu’au dernier cep. Un véritable désastre écologique et économique ! Mais une sacré aubaine immobilière pour un petit détective de la banlieue bordelaise comme Francky!

Moyennant un emprunt, les Craboui avaient réussi à acheter ce château il y a quelques mois. Bien sûr, le nom n’était pas d’origine. Du temps des vignes, c’était le Château Dudamier, une propriété qui avait appartenu à la même famille de génération en génération depuis le XVIIème siècle. La nouvelle appellation ( pas viticole celle-là) était une idée de Poulette. L’arrachage des ceps de vigne en quantité avait laissé un grand vide autour de la belle bâtisse en pierre. Poulette avait tenu à meubler cet espace de manière originale. Elle avait cherché une idée qui détonnerait dans le paysage viticole environnant : une belle allée…de cactus ! Avec ce déménagement, les Craboui faisaient d’une pierre deux coups. Non seulement ils auraient plus de place pour ranger leurs dossiers mais leur travail et leur domicile seraient situés au même endroit. Finis les embouteillages interminables sur la rocade bordelaise pour rentrer le soir à la maison…

Poulette Craboui était à la fois la femme et l’assistante de Francky. Elle le lui répétait bien assez comme ça et c’est précisément ce qu’elle était en train de faire : - « Mais qu’est-ce que tu deviendrais sans moi, je fais le secrétariat, la comptabilité, sans compter le ménage, la cuisine, les courses.. » - « Oui, je sais, je sais… et moi je ne fais rien peut-être ? Je te rappelle tout de même que je passe mes journées à enquêter pour… » rétorquait son détective de mari lorsque la sonnerie du nouveau téléphone sans fil de l’agence interrompit cette discussion stérile. Poulette décrocha : - « Agence Craboui et Craboui Associés, bonjour ! Que puis-je pour vous ? » - « Oui, bonjour Madame. Je vous appelle à propos d’une affaire que la police ne prend pas au sérieux » - « De quoi s’agit-il Monsieur ? » - « D’un vol de chaussettes. Depuis quelques semaines, à chaque fois que j’étends mon linge dehors, mes chaussettes disparaissent systématiquement. Je sais que ça a l’air ridicule mais je voudrais savoir ce que deviennent mes chaussettes. » - « Ce n’est ridicule du tout Monsieur, nous prenons toutes les affaires au sérieux. Je vous propose de passer à l’agence pour ouvrir un dossier et nous donner le maximum de détails .»

C’était la première enquête que Francky aurait à traiter depuis l’installation de l’agence à Château Cactus. Il allait inaugurer son nouveau matériel : un ordinateur portable dernier cri avec un accès à Internet à très haut débit, un fax ultramoderne, un appareil photo et un caméscope numériques. Autant d’investissements in-dis-pen-sa-bles avait-il expliqué à Poulette lorsqu’elle s’était insurgée devant tant de dépenses. Toute la technologie nécessaire à un cabinet de détective du vingt et unième siècle ! D’ici quelques heures, Francky aurait les premiers éléments pour démarrer son enquête sur ce vol de chaussettes.

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